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LE MONDE: OP-ED Commissioner's Pascal Lamy, Kim Campbell and Anote Tong

« Le dépassement climatique temporaire n’est plus une hypothèse incertaine, et nous devons nous y préparer »

La probabilité que le réchauffement global moyen dépasse 1,5 °C augmentant, trois éminents membres de la Climate Overshoot Commission (« commission sur le dépassement climatique ») proposent, dans une tribune au « Monde », une feuille de route pour tenter d’en limiter les effets.


10 November 2023


Huit ans après l’adoption de l’accord de Paris, de 2015, le risque de dépassement climatique temporaire (« climate overshoot », en anglais), avec un réchauffement global moyen dépassant 1,5 °C, n’a jamais été si élevé – et ce, malgré des développements positifs. Ce dépassement n’est plus une hypothèse incertaine, et nous devons nous y préparer. Nous savons qu’avec lui viendront des conséquences négatives majeures pour la santé, la sécurité alimentaire, la disponibilité de l’eau et la stabilité sociale, entre autres.

Les pays les moins industrialisés, ceux qui ont le moins contribué au problème, souffriraient le plus de ces conséquences. Dans cette optique, nous avons établi la Climate Overshoot Commission pour élaborer des voies cohérentes et applicables qui envisagent toutes les approches potentielles pour réduire et gérer les risques du dépassement climatique temporaire. Nous avons élaboré un agenda intitulé CARE (pour « cut, adapt, remove, explore ») : il consiste à réduire les émissions (« C »), à s’adapter (« A »), à éliminer le dioxyde de carbone de l’atmosphère (« R ») et à explorer prudemment la modification du rayonnement solaire (« E »).

La stratégie fondamentale pour limiter le dépassement est clairement d’accélérer de manière significative la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cela signifie que l’ère des combustibles fossiles doit prendre fin. Nous devons mettre en œuvre une phase de sortie ambitieuse des combustibles fossiles et renforcer notre engagement envers les sources d’énergie renouvelable.

La France et les autres pays riches devraient le faire dès maintenant, afin de laisser de l’espace aux pays moins industrialisés pour qu’ils poursuivent leur transition vers une énergie propre et durable, tout en luttant contre la pauvreté et en répondant à leurs impératifs de développement. Arrêter les émissions est essentiel, mais cela ne suffit pas. Parce que le changement climatique cause déjà des dommages à travers le monde, nous devons rapidement étendre les mesures d’adaptation efficaces. Cela devrait être guidé par une compréhension approfondie des risques climatiques locaux et des priorités d’adaptation.

Pour évoquer un domaine-clé des impacts climatiques, nos gouvernements et d’autres acteurs devraient renforcer la sécurité alimentaire en promouvant des pratiques agricoles innovantes, en soutenant les agriculteurs et en menant davantage de recherches. Une autre question cruciale, en Europe comme dans le Pacifique, est la migration induite par le changement climatique.

Nous devrions préparer nos sociétés à aider et à accueillir les migrants climatiques, notamment par le biais de mécanismes d’assurance et de mesures de protection sociale. Mais, même si nous arrêtons d’émettre, le dioxyde de carbone – le principal gaz à effet de serre – devra être retiré de l’atmosphère à une échelle significative et stocké en toute sécurité. Il existe de nombreuses méthodes pour le faire, qui varient dans leurs avantages et leurs inconvénients.

Un besoin urgent de cadres de gouvernance

Le stockage du carbone dans les plantes et les sols devrait viser à maximiser les avantages secondaires tout en minimisant le risque que le carbone stocké soit remis dans l’atmosphère. Les méthodes qui stockent le carbone sous terre ou dans les eaux océaniques sont plus sûres, mais peuvent créer des risques physiques et politiques, qui devraient être atténués.

En fin de compte, nous avons besoin de cadres de gouvernance pour étendre rapidement et équitablement le retrait du carbone – y compris d’éventuelles obligations de reprise par les entreprises liées au secteur des combustibles fossiles pour éliminer et stocker le carbone généré par leurs produits, afin que ceux qui ont émis puissent payer pour le retrait.

Pour refroidir la planète, la controversée modification du rayonnement solaire – des technologies qui réfléchiraient la lumière du Soleil pour réduire les températures – reste très incertaine. S’appuyer sur ces technologies pourrait avoir des conséquences indésirables et inattendues.

Le chemin à suivre n’est ni simple ni facile

En même temps, des preuves scientifiques précoces suggèrent qu’elles pourraient réduire certains risques climatiques. Le monde n’en sait pas encore suffisamment pour prendre des décisions éclairées sur l’utilisation de la modification du rayonnement solaire. Cela devrait être abordé avec une grande prudence, et un moratoire sur son utilisation devrait être mis en place, tandis que davantage de recherches visant à produire une image plus claire de l’efficacité, des risques et des avantages potentiels de cette approche devraient être développées et soutenues.

Pour approfondir la compréhension de ces technologies, des mécanismes de gouvernance internationale doivent être établis et renforcés. Le risque de dépassement climatique n’est pas qu’un autre défi environnemental, c’est un appel clair à une coopération et à une action nationale et internationale efficaces.

Le chemin à suivre n’est ni simple ni facile. Mais il offre une vision d’un monde qui soit non seulement durable, mais aussi plus équitable et prospère. Les choix que nous faisons aujourd’hui façonneront l’héritage que nous laisserons aux générations futures. Choisissons judicieusement.

Pascal Lamy est ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce ; Kim Campbell est ancienne première ministre du Canada; Anote Tong est ancien président de Kiribati.


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